Plus que cette sculpture particulière, c’est son titre qui m’arrête en premier lieu, car il pourrait s’appliquer à l’ensemble de l’œuvre de Sophie Verger. En prenant résolument le parti de l’anthropomorphisme, la notion d’opposition est présente dans toute son acception - si l’on considère le long combat de l’homme durant des siècles pour démontrer sa supériorité sur la « bête » et les diverses interprétations de divinités au fil des croyances humaines.
Au-delà de l’anthropomorphisme, il y a aussi, souvent, la notion de jeux. Avec des représentations animalières dignes de Pompon, mais en allant plus loin qu’un simple regard réaliste, Sophie sculpte des poésies, des contes entiers en une seule pièce… (Monsieur de La Fontaine aurait peut-être aimé y accrocher ses mots).
Elle nous offre tout à la fois la matière de notre enfance et un rappel primitif à l’enfant qui reste en nous, pour nous ramener à cet essentiel de vie après lequel nous courrons, tous, chaque jour. Elle est une fée qui sait transformer une émotion en animal, une sensation, un sentiment en mémoire retrouvée.
Elle nous suggère aussi avec beaucoup d’humour, une identification aimable au modèle animal, avec, au-delà de ce constat, le fait que, dans toute son œuvre, l’enfant seul a sa place auprès de lui : spontanément capable d’inclure l’existence de la bête dans ses propres valeurs fondamentales.
J’aurais pu choisir de faire une description pure et dure du regard porté sur ce petit bijou sculpté… Mais Sophie se joue également de la raison pure du regard et là encore réside l’opposition des interprétations. Elle montre ici, par ces deux entités –enfant/adulte–, que l’on peut se poser la question de la réalité du jeu, en est-ce bien un ou une réelle contestation, une révolte, un test de résistance, une comparaison, un désaccord ?
Je peux donc très bien imaginer qu’il s’agit du désir de prendre la place (dehors, les vieux, au fond du ravin…) ! Elle laisse entière notre interprétation.
Pour ma part, ce qu’enfant je pensais être jeu était sans équivoque apprentissage ; ce que je prenais pour difficulté : un test de capacité ; ce qui m’était divergence : une façon de réfléchir ; ce que je prônais comme révolte : un moyen de questionner ; ce que j’invoquais comme différence : un besoin de distinction ; ce qui m’était dissonance me portait à trouver la note juste. Finalement…. Toutes ces oppositions n’étaient qu’un pas vers l’apprentissage de résistance à tout ce qui ne serait plus jamais vécu dans l’indulgence de l’enfance. Ce qui importait après tout était d’avoir un appui incontestable face au monde adulte car, si nous nous conformons au troupeau au détriment de nos propres vies, nous laissons totalement disparaître l’enfant que nous sommes et ne serons jamais entiers.
Ce sont toutes ces étapes que je vois dans l’œuvre de Sophie, toutes ces histoires qui nous font grandir, tout ce besoin de retrouver en permanence ce temps où la naïveté nous était protectrice et l’instinct boussole…. Mais aussi toute cette joie spontanée, cet humour et cette tendresse qu’elle sculpte dans les détails du mouvement.
Alors, que dire sinon merci de nous permettre, adulte, de ne pas oublier l’enfant qui gît en nous, muet trop souvent, pour garder toute notre animalité humaine.
Jö/ELLE juillet 2019