Œuvre unique

Un cheval dans une barque couverture sur le dos, un cheval vieux qui part pour un voyage, un très long voyage que font les vieux chevaux pour n’en pas revenir, un voyage d’hiver. Et une petite fille, une image de printemps, qui une dernière fois pose la tête sur son museau et cache ses larmes dans sa crinière. Elle va descendre, cette traversée n’est pas pour elle, pas encore. Ils le savent tous les deux dans le consentement d’un adieu qui les rend à tout jamais inséparables. «Voyage d’hiver» dit avec pudeur et tendresse quelque chose d’infiniment difficile à exprimer et tend au spectateur le miroir d’une expérience intime, lui donne à voir le déchirement tranquille du temps qui sépare, l’ultime caresse qui précède l’absence, la part d’empathie nostalgique d’une œuvre dont les protagonistes semblent, le plus souvent, évoluer dans une ludique insouciance. Le contact que maintiennent entre eux les personnages de Sophie Verger n’est pas seulement le vecteur obligé d’improbables acrobaties. Il affirme inlassablement l’exigence du souci de l’autre, le choix du risque de se perdre tous plutôt que de prétendre se sauver seul (Le promontoire, Barque aux éléphants). Il est marque de la confiance en l’autre sans laquelle il n’est point d’équilibre, une confiance à danser sur les bosses des chameaux, une confiance à arrêter net la charge d’un taureau. Une confiance de petite fille. Le temps va passer, on lui expliquera que c’est de l’inconscience, du pas raisonnable, mais peut-être saura-t-elle retrouver sur son front l’empreinte rêche et douce de la crinière d’un vieux cheval qui, quelque part, l’attend.

Georges Dilly Conservateur en chef du patrimoine 2018

Acquisition privée

épuisé